Ces mots tombèrent comme un coup de tonnerre. Ma main, suspendue en l’air, tremblait légèrement. Dans ses yeux, plus aucune trace de malice enfantine — seulement un sérieux froid qui me glaça le sang.
Quelques minutes plus tôt, tout était pourtant banal. La cuisine baignait dans l’odeur rassurante des herbes et du bouillon chaud. Je venais de servir sa soupe préférée, nouilles fines maison, accompagnée d’une salade de poulet et maïs. Elle riait, racontant les histoires de ses amies, les jeux dans la cour et ce dessin animé qu’elle voulait absolument voir après le repas.

Puis, alors que je m’asseyais, sa voix changea.
— Ne la mange pas.
— Pourquoi ?
Elle baissa le ton, presque un murmure :
— Ce matin… j’ai vu papa verser quelque chose dedans.
Mon estomac se noua. Mes pensées se bousculaient. Une erreur d’enfant ? Ou… pire ?
Et là, un souvenir me frappa : notre échange matinal. Il avait annoncé vouloir cuisiner lui-même — une rareté. Et puis… cette odeur étrange dans la casserole, métallique, presque médicinale.

Je reposai calmement la cuillère. Sous prétexte de réchauffer la soupe, je récupérai discrètement un échantillon dans un bocal stérile. Le soir même, je l’apportai à un laboratoire.
Le lendemain, le verdict tomba : un puissant somnifère, en quantité suffisante pour plonger un adulte dans un sommeil profond… pendant des heures.
C’est à ce moment-là que tout bascula. J’ai gardé le silence, feignant l’ignorance. La police plaça un dispositif d’écoute. Et quelques jours plus tard, j’entendis tout.
Il était là, avec une autre femme. Sa maîtresse. Ensemble, ils discutaient du plan : me faire passer pour folle, m’interner, puis récupérer la maison et tout ce que nous possédions.

Quand les forces de l’ordre sont intervenues, il ne s’est même pas défendu. Peut-être croyait-il encore que je ne savais rien.
Aujourd’hui, il est derrière les barreaux. Et moi, je repense souvent à ce repas… en me demandant : si ma fille n’avait rien dit, serais-je seulement encore là pour raconter cette histoire ?